Nouvelle

Nouvelle

by Emma Klara Di Matteo -
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L’eau était lourde. Pas simplement autour de lui, mais en lui, dans ses poumons, dans sa peau. Elle s’infiltrait dans chaque recoin de son être, comme si elle cherchait à le posséder. Au début, c’était la panique. La morsure glaciale de l’océan, le poids de l’inconnu, le silence oppressant qui avalait chaque battement de son cœur. Il se rappelait le naufrage – la violence du choc, les cris qui s’éteignaient sous l’eau, la solitude qui s’était abattue sur lui comme une chape de plomb. Il était tombé, coulé, s’était débattu… puis, plus rien. Jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux dans un monde qu’il n’aurait jamais dû voir. Autour de lui s’étendait une cité lumineuse, presque trop parfaite pour être réelle. Des dômes de verre renfermaient des jardins sous-marins, des passerelles de corail reliaient d’imposantes structures aux reflets nacrés. Tout autour, des silhouettes humanoïdes le fixaient, leurs yeux curieux d’une douceur presque envoutante.

La pastille avait fonctionné. Il respirait.

Ils l’avaient recueilli sans hésitation, l’accueillant avec une gentillesse déconcertante. Partout où il allait, il était traité comme un invité de marque. On lui montrait la ville, on lui expliquait son fonctionnement – une société avancée, sans conflits, où chacun vivait en harmonie avec l’océan. Et pourtant, quelque chose l’oppressait. Son frère jumeau, qu’il avait laissé derrière lui à la surface, occupait ses pensées. Il devait le retrouver. Lui raconter tout cela. Lui montrer que ce monde existait vraiment. Mais chaque fois qu’il évoquait son désir de partir, les sourires s’effaçaient, remplacés par une bienveillance teintée de fermeté. "Tu es des nôtres maintenant. Pourquoi vouloir retourner dans un monde qui ne t’appartient plus ?" D’abord, il avait cru à un malentendu. Puis à une peur infondée qu’il pourrait dissiper en insistant. Mais peu à peu, l’évidence s’imposa à lui : on ne lui permettrait jamais de remonter. La ville, aussi magnifique soit-elle, était une prison. Et il n’était pas le seul captif. Au détour d’un couloir, il les vit. Des humains, comme lui, errant sans but dans une salle à l’écart, leurs visages marqués par la résignation. Aucun d’eux ne tenta de lui parler. Il comprit. 

Les invités ne partaient jamais.

La panique le submergea. Il devait trouver un moyen de fuir, de remonter à la surface avant qu’il ne soit trop tard. Il chercha une issue, mais chaque chemin le ramenait à un autre couloir, une autre salle, un autre sourire faussement bienveillant. La cité était un labyrinthe. Ses pensées se tournèrent vers son frère. L’attendait-il encore ? Ou avait-il déjà fait son deuil ? Une idée germa en lui. Il devait ruser. Faire semblant d’accepter son sort. Attendre le bon moment. Il retourna auprès de ses hôtes, un sourire forcé aux lèvres. "Vous avez raison, je suis chez moi ici." Les regards se détendirent, mais il savait. Il savait que la moindre erreur lui coûterait sa liberté. Il se préparait. Et il n’avait plus droit à l’échec.