J’ai grandi sous un ciel qui ne laissait jamais voir les étoiles. Une brume épaisse, lourde, collante, s’accroche aux bâtiments délabrés comme les larves s’attachent à un corps en décomposition. L’air, dense et acide, brûle la gorge quand on oublie, même si ce n’est qu’une seconde, de bien fixer les filtres de nos masques. J’ai appris, très rapidement, à ne jamais respirer trop profondément.
Juda, ma planète, est en train de mourir.
Les écrans suspendus aux façades rocheuses au bord des autoroutes diffusent les mêmes annonces incessantes depuis plusieurs mois : « Évacuation imminente. », « Dirigez-vous vers les stations de transit. », « Un avenir meilleur vous attend. » Mensonges. Cette voix artificielle tente d’imiter la voix de notre espèce, une espèce infectrice, destructrice, une espèce de virus qui infecte tout ce qu’elle touche. Elle me dégoute. Elle me rappelle que moi aussi, comme toute mon espèce, je ne suis qu’un virus.
Les rues sont envahies de gens pressées, chargées de sacs lourds, d’enfants endormis sur des épaules fatiguées. Tout le monde s’évite du regard. Personne ne veut voir la peur dans les yeux des autres, de peur qu’elle reflète la leur même si ce n’est rien de nouveau pour notre espèce. Certes, c’est la première fois que cette génération fuit sa planète, ou plutôt celle qui nous abrite, celle que nous avons détruite, mais notre espèce a déjà vécu des événement similaires par le passé. D’ailleurs, c’est la troisième planète que nous détruisons et que nous laissons dans un état plus qu’atroce.
Je serre la main de ma mère dans la mienne. Ses doigts sont froids malgré la chaleur suffocante qui s’accroche à la ville comme une malédiction. Autour de nous, les immeubles tremblent sous les secousses lointaines d’un sol épuisé. Des fissures serpentent sur l’asphalte comme des veines vidées de leur sang. Chaque pas soulève un nuage de poussière noire qui retombe aussitôt, collant à la peau, s’infiltrant dans les plis des vêtements.
Ils disent que tout est de notre faute.
Ils disent que nous n’apprenons jamais.
Je l’ai entendu toute ma vie, dans les murmures des adultes, dans les journaux délavés par la suie, dans les livres qu’on n’a plus le droit de lire. Nous sommes un cancer. Nous nous accrochons aux mondes qui nous nourrissent et nous les dévorons jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Je n’ai que 12 ans, mais je sais très bien que j’ai participé et que je participerais encore à la destruction d’une autre planète, de sa faune et de sa flore.
Ma mère presse le pas, m’entraînant derrière elle à travers la foule. À quelques lieues de là, une sirène hurle, stridente, couvrant même le grondement lointain des tempêtes qui nous menacent depuis des décennies. Le centre d’évacuation est droit devant nous. Une tour immense, parsemée d’antennes et de lumières rouges qui clignotent à travers la brume, comme les derniers battements de cœur de notre civilisation sur Juda. Un vaisseau, comme tant d’autres, nous attend dans les hauteurs. Elle nous promet un futur que nous ne méritons peut-être pas.