Premier jet Florence Guindon

Premier jet Florence Guindon

par Florence Guindon,
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Tout se passe au ralentit. Les gants chirurgicaux coupent ma circulation sanguine des poignets et mes cheveux au niveau de ma nuque sortent du bonnet. Je suis à mon poste et j’attends le numéro 936. Prendre les instruments. Recoudre. Démarrer le programme. Mes tâches habituelles, répétitives. Dans la salle stérile, le silence est pesant. Le seul bruit est celui du moniteur qui bipe lentement, maintenant toujours le même rythme. Le programme est en place. Le numéro 936 n’est dorénavant plus ce qu’il était. 

Elle valide mon travail d’un hochement de tête. Je ne vois que deux billes jaunes partir au travers de la vitre teintée. Un frisson me parcourt l’échine. Je ne sais rien d'eux, et pourtant, c’est moi qui les transforme en autre chose. Je n’ai pas le droit de poser de questions. Je dois me fondre, faire comme les autres. Après mon quart de travail, je me dirige dans mes quartiers. Je termine après l’Heure. Je suis seul marchant dans les rues de la capitale. Durant ces marches quotidiennes, je me questionne souvent. Mais pourquoi moi?

Le vent soulève des volutes de poussière, et les lampadaires projettent une lumière froide sur l’asphalte fissuré. Les immeubles, tous identiques, se dressent comme des sentinelles muettes autour de moi. Je marche vers mon cube, laissant mes pensées dériver. Puis, au détour d’une ruelle, une silhouette attire mon attention.

Un homme, vêtu de l’uniforme réglementaire, se tient immobile sous une enseigne clignotante. Son regard est rivé sur moi. Ses yeux. Jaunes. Elle avait les mêmes yeux. Pourtant, quelque chose cloche. Il ne bouge pas, ne parle pas. Juste cette présence figée, anormale.

Je ralentis instinctivement. Mon cœur cogne contre ma poitrine. Ce genre de rencontre ne devrait pas arriver.

Puis, d’un mouvement brusque, il fait un pas vers moi.

— Tu n’es pas comme eux, murmure-t-il. Tu es différent, comme moi.

Sa voix est rauque, comme si parler lui coûtait un effort immense. Avant que je puisse réagir, il glisse un minuscule objet dans ma main et disparaît dans l’ombre. Je baisse les yeux. Entre mes doigts, un petit disque métallique reflète la lumière blafarde. Une donnée encryptée. Un secret que je n’aurais jamais dû recevoir.

Je jette un regard nerveux autour de moi. Personne ne semble avoir remarqué l’échange. Pourtant, je me sens épié. Mes doigts se referment instinctivement sur le disque. Une chaleur imperceptible s’en dégage. Je le glisse rapidement dans ma poche et poursuis mon chemin, le cœur battant.

De retour dans mon cube, je verrouille la porte derrière moi. L’endroit est spartiate, impersonnel. Une table, un lit, un écran mural. Je m’assois et fixe l’objet entre mes paumes. Mon souffle est court. Pourquoi cet inconnu m’a-t-il choisi ? Que contient ce disque ?

Je sais que je ne devrais pas, mais mes mains tremblantes s’approchent du port de connexion intégré à mon bureau. Si c’est un piège, il est déjà trop tard. Mais si c’est une vérité que l’on me cache…

Je prends une grande inspiration et insère le disque.