Écoute active

Écoute active

par Nadia Maria Milatinova,
Nombre de réponses : 0
À cette heure tardive, les artères de la ville sont dépouillées, les réverbères éteints, et le silence s'étale sur l'entièreté de la métropole. Telle est son apparence, ce qui peut être perçu en la survolant: un monde figé dans la nuit. Même les plus jeunes âmes semblent être suspendues dans un moment hors du temps. Il n'y a aucun courant d'air qui se promène dehors, comme si l'atmosphère elle-même retenait son souffle. La poussière demeure immobile sur toutes les surfaces, et l'unique lumière émise par la lune, presque visible à travers sa couverture de nuages, éclaire les bâtiments laissant des ombres se mêlant au ciel noir, faisant ressortir son immensité. Pourtant, au sein de cette sérénité palpite l'excitation du docteur Nor, dans une pièce de béton vaste et froide se trouvant à l'abris de tout mouvement, de toute vie externe. 

Il était grand temps, le premier prototype est enfin finalisé. Une odeur torride de cuivre et d'aluminium domine le laboratoire souterrain du docteur, encore asphyxiée par la réalité d'une idée abstraite qui l'abritait depuis son plus jeune âge. Des décennies de travail acharné sont tout-à-coup étrangement condensées dans ce minuscule assemblage de métaux et de polymères qu'elle tient avec perplexité au bout de ses doigts. Un implant neuronal qui devrait être capable de décoder les influx nerveux humains afin d'en extraire des pensées, puis les transmettre sous forme de langage intelligible. Cette nanotechnologie, une fois introduite minutieusement dans les replis du cortex préfrontal d'un individu, permettrait à ce dernier de décrypter les raisonnements inédits qui envahissent les esprits de son entourage. 

« Je n'y crois pas. J'y suis arrivée! » Ces mots s'échappent de la bouche du docteur, comme un cri intérieur longuement replié sur lui-même qui se libère finalement, comme le premier déploiement des ailes fragiles de l'ornithoptera Allotei émergeant enfin de son cocon.

Il ne reste plus beaucoup de temps avant que le soleil se lève, le cœur de la docteur bat d'une cadence élevée, et les glandes sudoripares de ses paumes excrètent de plus en plus de fluide qui émet une senteur se mélangeant à l'arôme métallurgique déjà imprégnée dans l'air du laboratoire. Il porte un parfum très distinct, salé et humide, révélant les efforts corporels à son passage. La docteur se précipite vers l'un des comptoirs en acier inoxydable, niché au fond de la pièce, sur lequel une épaisse nappe blanche déploie l'agencement méticuleux de plusieurs instruments chirurgicaux stérilisés. Chacun d'eux, soigneusement disposé, attend dans le suspense la prochaine étape de l'expérience. Juste à côté, un matelas fin étalé sur une veille table de bois sert de lit d'opération. 

Heureusement, les médecins disposent aujourd'hui d'un robot spécialisé qui permet d'effectuer des interventions chirurgicales préprogrammées avec une précision extrême. Cela convient parfaitement à la situation du docteur Nor, qui souhaite performer cette procédure risquée en toute intimité. Calme, mais retenue par un arrière-goût amer, elle se tient devant le comptoir ayant l'esprit complètement hanté par ce qui est à venir.

Lentement, la docteur dépose son corps contre le lit encore froid et dur, avant d'activer le robot en charge d'effectuer l'implantation de la première puce neuronale permettant de lire les pensées. Alors que le soleil se lève à peine, l'aiguille de l'anesthésique pénètre sa peau avec exactitude. Ses paupières commencent à s'alourdir graduellement et la docteur plonge dans une obscurité totale, prête à révolutionner la science.