Le chiffre 1 est le chiffre le plus seul au monde. « Un » est le diviseur de tout nombre entier, mais il n’a que lui-même comme diviseur propre. Le carré de « un » est « un », le cube de « un » est « un ». « Un » fois « un » est « un ».
« Un », la singularité qui snobe les physiciens depuis des années.
« Un » ne peut pas être utilisé comme base pour un système numérique.
« Un » n’a qu’« un » comme unique inverse.
« Un » n'a pas d'ami, car il ne peut y avoir qu'un seul nombre 1.
Le chiffre 1 a bien des défauts. Il représente la singularité dans ce monde où l’on prône l’unité, un mot qui désigne ce qui est unique, mais qui est aussi considéré comme formant un tout, un amalgame de tout ce qui compose notre société. Ce chiffre est une ANTITHÈSE.Il est à la fois le fondement de tous les autres nombres, mais il n'est pas lui-même le résultat de la somme ou de la combinaison d’autres entités. Dans une société où tout doit se compléter, un est une contradiction. Il est tout en soi, sans besoin de compenser ou d'ajouter à un autre .
Alors, lorsqu’il a été assignée à la naissance par l’Arithmos à Monad, il n'est pas surprenant qu'elle a tout de suite été placée dans un foyer pour les jeunes enfants abandonnés, parmi d'autres malchanceux dans la même situation. Ils sont presque aussi rares qu’un trèfle à quatre feuilles et pourtant, ils n’ont ni chance ni valeur. Aucun parent ne veut d’eux. Ceux qui se retrouvaient dans cette situation étaient appelés les enfants maudits, les enfants de la déchéance, les impurs. Pourtant, elle ne l'a pas choisi.L'algorithme est purement aléatoire.
Bannie de la société, le centre pour Monad est un abri illusoire. Les nuits sont les plus difficiles. Dans l'obscurité, elle se blottit sous ses draps, les larmes aux yeux, rêvant d'une vie différente qu'elle n'a jamais connue. Quand elle pleure, Nova, un petit garçon doux et timide aux yeux tristes, vient essuyer ses larmes. Elle ne voulait pas se sentir vulnérable et pourtant, elle le laisse faire. C’était leur pacte secret : elle veillait sur lui le jour, lorsque les plus âgés cherchaient à le blesser, et lui serait là pour la réconforter dans l’obscurité, son gardien dans la nuit.
Dans ces instants volés, ils créent un monde où la douleur n'existe pas, où les ombres du foyer s'effacent et où l'amour fraternel remplace la solitude. Nova, son roc, son abri, son espoir de vie. Chaque fois qu'il effleure sa joue de ses petits doigts, Monad ressent un réconfort inexplicable. Puis, pour chasser leurs peurs,elle lui raconte des histoires de courage , d'aventure et de paysages verdoyants qu’ils ne voient que dans les films.
Mais les jours passent, et la peur grandit. Les autres enfants murmurent des rumeurs. Les murs chuchotent les secrets de l’angoisse. La sélection approche. Cela fait des mois qu’un enfant n’a pas disparu de son lit. Chaque matin, Monad se réveille en panique et espère que ce ne soit pas lui qui ait été choisi.
Aujourd’hui encore, le cœur lourd, elle se lève et commence à parcourir les couloirs du centre, appelant son nom.
« Nova ! Nova ! »
Sa voix résonne comme un écho désespéré, mais le silence qui lui répond est écrasant. Elle se dirige vers les salles où les plus âgés traînent, mais ils évitent son regard.