Premier jet - Nelly

Premier jet - Nelly

by Nelly St-Onge -
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Je sens la terre respirer sous mes pieds.

Une pulsation lente, profonde, qui traverse les racines de la forêt et vibre dans l’air humide. Le sol sous moi est tiède, remplis de sève et de mémoire. J’écoute.

Le chant des spores s’élève en volutes lumineuses, dansant entre les branches tordues. L’ombre des feuilles oscille au rythme du vent, projetant sur ma peau l’écho de ce monde en perpétuelle croissance. Tout est en ordre. Tout est comme il a toujours été.

Mais alors pourquoi le silence ?

Je fronce les sourcils, mes vrilles frémissent. L’Écho des Ancêtres ne dort jamais. Ses racines s’enfoncent profondément dans le sol, tissant une toile de murmures et de pensées. Et pourtant, je n’entends rien. Pas le bruissement familier des aînés, pas le chuchotement des esprits anciens.

Juste un vide.

Alors, je lève la tête.

Le ciel est fendu. 

Une lumière tombe des hauteurs, déchirant la brume verte d’une traînée incandescente. Un feu froid, plus brillant que les spores nocturnes, plus tranchant que la lueur des pierres-nuages. Une anomalie. Une menace.

Un appel.

Je reste figée un instant, mes racines fantômes s’accrochant à la terre par habitude. Puis mes jambes se mettent à bouger, d’elles-mêmes. Mes pas effleurent la mousse tendre, mes doigts caressent les troncs anciens, y cherchant un murmure rassurant. Je glisse entre les tiges mouvantes, m’enfonçant plus loin dans les profondeurs des bois.

L’air est étrange ici. Lourd. Chargé de quelque chose que je ne comprends pas. Une odeur métallique flotte dans l’atmosphère, se mêlant à la senteur humide des feuilles et à la douce âpreté des spores nocturnes.

Je m’arrête devant la clairière.

Le sol est brûlé.

C’est impossible. Rien ne brûle ici. L’humidité est trop forte, la forêt trop vivante. Et pourtant, un cercle noir s’étale devant moi, un cratère béant au centre duquel repose un objet inconnu. Sa surface est lisse, froide, sans écorce ni fibre. Pas de sève, pas de souffle, pas de vie.

Et pourtant…

Il y a du mouvement à l’intérieur. 

Je retiens mon souffle. Quelque chose se lève. Une ombre aux contours nets, rigides, étrangers. Un être fait de matière morte, qui marche comme moi mais sans racines, qui respire mais sans sève.

Ce n’est pas un esprit. Ce n’est pas une bête.

C’est autre chose.

C’est ce que l’Écho des Ancêtres redoutait.

C’est ce que nous avions oublié.

Mon cœur—ou ce qui s’en rapproche—bat violemment contre ma poitrine. Autour de moi, la forêt frémit, incertaine, hésitante. Je sens les racines sous la terre se contracter, écouter, s’interroger. Comme moi.

Les miens disent que nous sommes nés de la mémoire de ce monde. Que nous sommes ses enfants et ses gardiens. Nous ne chassons pas, nous ne prenons pas plus que ce que la forêt offre. Chaque Olyä naît enraciné, bercé par les murmures de la terre, nourri par l’Écho des Ancêtres jusqu’à ce que le moment vienne de se détacher, de marcher, d’apprendre.

Je suis encore jeune. Je n’ai vu que quelques cycles lunaires. Mais je sais que ceci n’a rien d’un présage ordinaire. Ce feu tombé du ciel, ce vide dans l’Écho, cette silhouette rigide…

C’est un rappel.

Un fragment du passé que nous avions laissé se dissoudre dans l’humus des âges.

Et maintenant, il revient.