La pluie tombe en rideaux épais, martelant mon casque, ruisselant sur mon visage en traînées glacées. Chaque goutte est un coup de fouet, une morsure contre ma peau gelée, mais je n’y prête plus attention. Le monde autour de moi est noyé sous une chape de gris, une mer de boue et d’ombres où seuls les éclairs des obus au loin brisent l’horizon. Mes bottes s’enfoncent dans la terre détrempée à chaque pas. La colonne avance en silence, une masse de spectres noyés sous leurs capes trempées, le regard rivé droit devant. Le sol crache des gargouillis nauséeux sous notre marche, comme si la terre elle-même étouffait sous le poids de nos pas. L’odeur de la pluie ne parvient pas à masquer celle du métal, de la poudre et de la peur. Mais moi, je n’ai pas peur. Je sens la guerre approcher, comme un feu grondant sous ma peau. Une chaleur insidieuse monte dans mes veines, malgré le froid mordant de la pluie. Ce n’est pas l’appréhension qui me consume, c’est l’excitation. L’impatience. L’attente est une torture, un supplice qui me ronge les tripes. Je veux avancer plus vite. Je veux plonger dans la gueule du carnage et y mettre le feu. Autour de moi, ils marchent, têtes baissées, écrasés par le poids de l’inévitable. Je vois leur hésitation dans leurs gestes, la tension dans leurs épaules. Ils espèrent peut-être s’en sortir, survivre, rentrer chez eux. Moi, je n’ai plus de chez-moi. La guerre est mon foyer. Les tambours du tonnerre résonnent, se mêlant aux grondements lointains des explosions. La ligne d’horizon danse sous les éclairs de l’artillerie, une fresque mouvante de mort et de destruction. Je veux y être. Je veux voir les flammes lécher le ciel, entendre les hurlements s’élever au-dessus du fracas. Ce monde cruel, personne ne mérite d’avoir le plaisir. Ils méritent tous de souffrir. Je ne marche pas vers une bataille. Je marche vers un bûcher. Le monde est un tas de bois sec, et moi, je porte la torche. Mes doigts se resserrent sur mon fusil, mais ce n’est pas ce métal froid qui me fait frémir. C’est l’idée de tout réduire en cendres. De voir les murs s’effondrer, les rues se noyer dans le sang et la suie. Il n’y a pas de drapeau, pas de cause, pas d’ennemi ou d’allié. Il n’y a que la fin, et je veux la voir éclater devant moi, sentir sa chaleur brûler ma peau, emplir mes poumons de son parfum de fin du monde. Un cri retentit, un ordre hurlé au milieu de la pluie battante. On accélère le pas. Je sens l’adrénaline mordre mon ventre, un frisson d’extase traverser mon échine. Bientôt. Bientôt, je pourrai tout consommer.