Premier jet

Premier jet

par Ève Airoldi,
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Après des dizaines d’années d’investigation, les rides entre les sourcils grisés de l’enquêteur se creusent comme la crevasse d’un canyon après des siècles de sécheresse. Le dos courbé, penché devant son bureau enseveli sous des piles de documents, de photos et de lettres, ce cas de disparitions multiples lui a imposé un horaire de travail beaucoup plus chargé qu’à l’habitude. Même hors de ses heures payées, les images, les alibis et les plaidoiries lui trottent l’esprit, véritablement désespéré de trouver une réponse à ce mystère. Jamais aucune des ses affectations n'avait été aussi personnelle; parmi les disparus, se comptait son ancienne petite amie, son tout premier amour. 


Elle se nommait Jennie. Ils s'étaient rencontrés au camp de jour de leur petit village, dans les profondeurs des campagnes du sud des États-Unis. Déjà à l’âge de 6 ans avaient-ils reconnu leur complicité; ils partageaient un amour fou pour tout ce qui était des théories de complot. Ils se ravivaient de placoter de différentes espèces qui pouvaient les espionner de la haut, qui viendraient un jour les attraper pour les draguer dans leur univers extraterrestre.


Ils avaient déjà cherché les lieux: le sable des dunes brassé et creusé, toute trace effacée par le mouvement incontrôlable des particules rocheuses du sol. Aucun objet n’avait été laissé où les dernières coordonnées des cellulaires avaient indiqué; du moins, ils avaient évadé la profondeur des sables atteignables. Un véritable cas d’évaporation, disait-on dans le domaine. 


Le Rub al-Khali est un des déserts les plus vastes sur Terre. Il occupe environ 650 000 km2 de la Péninsule Arabique. C’est huit heures et demie d’avion plusieurs fois par semaine pour cet enquêteur de renommée mondiale. Avec une équipe locale et une équipe dans le village originel des randonneurs portés disparus, les allers-retours se faisaient nombreux et nécessaires. À tout nouvel indice, la valise du chercheur se remplissait de nouveau et traversait les continents.


Là-bas, le soleil plombant empêchait toute accumulation d’eau. Il faisait difficile de respirer, l’air lourd et condensé remplissait les poumons plus vite qu’à l'habitude. Les courageux aventuriers, l’équipe de l’enquêteur, naviguaient sur les mers de sable et affrontaient les vagues à pied sur ces sols mouvants. Chaque pas prenait excessivement d’énergie qui encourageait le dégoulinement de sueur sur leurs fronts. Non seulement devaient-ils soutenir leur propre poids, mais aussi devaient-ils emporter ce qui semblait être des tonnes d’équipement de recherche sous les circonstances. Ne suivant rien qu’un GPS approximant les coordonnées, ils erraient, vigilants et attentifs. 


Jennie et l’enquêteur s’étaient vus en dernier lieu presque 15 ans auparavant, dans une épicerie. Ils avaient partagé un regard et avaient instantanément reconnu l’adolescent qu’ils connaissaient chacuns. Quelques mots partagés ont pu rattraper ce qu’ils avaient manqué, et ce qu’ils manqueraient: des voyages planifiés, des opportunités de travail et des familles en expansion. C’est là que Jennie partagea ce rêve de parcourir les dunes de sable de l’Arabie Saoudite; un rêve d’une vie d’investiguer les complots d’accès extraterrestre par ces endroits qui ne peuvent conserver la vie, qui ne peuvent conserver de témoins.