Je ne me souvenais d’absolument rien avant mes six ans. Juste un froid mordant, la sensation du bitume glacial sous mes pieds nus, et une main qui s’était refermée sur mon bras avant qu’une voix ne me demande quel était mon nom. Je n’avais pas su répondre.
Adoptée par une famille aimante, j’aurais très bien pu mener une vie normale comme tout le monde. Mais il y avait ces visions. Des éclairs d’images qui surgissaient sans prévenir comme des lucioles affolées dans la nuit : un couloir étranger, un faible murmure, une pièce jamais explorée qui m’étais pourtant familière dans ses moindres détails. J’ai tenté de les ignorer pendant tant d’année. Jusqu’au jour où tout a basculé, comme un château de cartes s'effondrant d'un seul coup.
C’était dans le métro. Je pensais à une simple montée de stress jusqu’à ce que les murs disparaissent de ma vision. Un souffle glacé m’a soudainement enveloppée, et des voix trop nombreuses, trop proches, ont chuchoté mon nom. Lorsque j’ai repris mes esprits, j’étais par terre, tremblante et apeuré, des passants me regardant avec terreur.
Les ambulanciers m’ont alors emmenée. Mes parents ayant l’air inquiets à mon goût ont signé des papiers, et avant même que je ne comprenne ce qui se passait, j’étais enfermée ici, au Centre Mnémos. Un environnement clinique où les médecins me submergeaient de questions.
- Tu vois souvent ces images ?
- Ce ne sont pas des images, elles sont réelles.
Ils notaient tout sur leurs carnets blancs comme la neige et échangeaient des regards entendus. Puis, les tests ont commencé.
On m’a attachée sur une chaise métallique, des électrodes collées sur les tempes, devant un écran qui projeter des formes abstraites. J’aurais dû protester, je le savais bien, mais quelque chose me disait que refuser ne servirait à rien. Au début, ce n’était qu’un picotement désagréable derrière les yeux. Puis, ça s’est intensifié, devenant insupportable.
Les images n’étaient plus des flashes incompréhensibles et paradoxal. Elles étaient clairement nettes. J’ai d’abord vu un patient se faire traîner hors d’une salle en hurlant un cri perçant. J’ai ensuite vu deux scientifiques chuchoter à propos d’un « seuil critique ». J’ai vu un bâtiment en feu.
Et puis, j’ai vu mon propre corps, étendu sur le sol froid, sans vie.
Mon cœur s’est emballé. J’ai voulu arracher les électrodes, mais une main s’est posée sur mon épaule.
- Medea, ça va ?
C’était le Dr Ros. Le seul ici qui semblait voir en moi autre chose qu’un simple sujet d’expérience inhumaine. Mais je ne pouvais pas lui faire confiance. Je ne pouvais faire confiance à personne.
Je devais sortir d’ici avant qu’il ne soit trop tard.
La pièce autour de moi semblait vibrer. Était-ce réel ? Ou bien une conséquence des ondes qu’ils m’avaient tous envoyées ? Mon souffle était saccadé comme le battement irrégulier d'une horloge brisée. Des murmures résonnaient dans ma tête, beaucoup plus forts qu’avant.
- Vous… Vous m’avez fait quoi ? Ma voix était tremblante, à peine audible.
Ros hésita. Il ouvrit la bouche, puis se ravisa. Il jeta un léger regard aux caméras de surveillance avant de me souffler :
- Je vais essayer de vous aider. Mais vous devez me faire confiance.
Je voulais lui répondre. Mais, à cet instant précis, la porte s’ouvrit brusquement. Deux hommes en uniforme entrèrent, le visage aussi sombre que l'horizon avant une tempête.
Je n’étais plus une patiente. J’étais une prisonnière.